Un article de Gauthier van Outryve, rédacteur en Chef de Mille Décibels.
L'article original est à lire
en cliquant ici. Pour une fois, nous l'avons reproduit in extenso. Nous en avons profité pour souligner des passages que nous jugeons importants.
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Dans une société démocratique, la souveraineté donnée au peuple est garantie par la libre circulation des idées et des informations. C’est pourquoi le verbe « désinformer » contient quelque chose d’à la fois révoltant et tragique. Lorsqu’un politique ment à l’opinion publique en tronquant l’exposé des faits objectifs, par l’exagération, un silence trompeur ou par l’affirmation de fausses vérités, il commet un acte lourd de conséquences.
Mentir pour gouverner
Dans le dossier des nuisances aériennes, depuis deux ans,
l’opacité organisée a été une lamentable constante. Manipulation des chiffres et des méthodologies, retard ou absence d’études d’impact complètes et objectives, rejet mal justifiés d’avis techniques neutres, dénaturation de principes éthiques, arguties juridiques visant à châtrer le droit, insultes déstabilisatrices, contre vérités mobilisatrices des sentiments antagoniques qui préexistent entre communautés linguistiques et groupes sociaux, invention d’avantages économiques ou environnementaux qui n’existent pas: la liste est longue, terriblement longue.
S’il faut choisir un seul mensonge à mettre en exergue dans ce pénible florilège, considérons celui qui s’adresse au plus grand nombre et met l’opinion publique à contribution pour le rendre possible : le risque de fermeture de Bruxelles-National et la perte éventuelle des emplois concernés. Cette menace ne correspond à rien de réel. Aucun des 60.000 emplois générés par l’aéroport ne sera perdu si la logique de dispersion des nuisances est abandonnée. Elle n’est pas appliquée en similarité ailleurs et l’aéroport a pu fonctionner sans le plan Anciaux pendant des générations. S’agissant de vols de nuit qui créent un vrai désarroi chez les personnes vulnérables à l’agression du bruit, l’acte de la désinformation acquiert une dimension presque criminelle.
L’oubli volontaire du droit
Notre Cour de Cassation a confirmé que le droit d’exiger la répartition à parts égales des nuisances n’existe pas. C’est pourtant le seul droit qui soit en ce moment pris en compte par le gouvernement fédéral au détriment d’une accumulation inouïe d’autres, formels ou naturels, qui sont bafoués sans aucun complexes apparents : le droit au standstill, le droit au sommeil, le droit à vivre dans un environnement non pollué, le droit de pouvoir assurer de bonnes conditions de vie à ses enfants, le droit à la propriété, le droit à la vérité, le droit à la protection des minorités, le droit de vivre en paix avec ses voisins sans subir d’incitation à la zizanie, le droit au respect, le droit de jouir des dispositions protectrices d’une décision de justice, le droit d’exiger du gouvernement qu’il corrige ses erreurs constatées ... Devant le constat d’une si grande inconséquence, pour qui respecte la démocratie, l’indignation se ressent en partage avec la tristesse.
Si le bruit des avions est vraiment trop lourd à supporter, alors il faut le corriger par des mesures appropriées ou bien le déplacer là où un espace libre existe où encore le réduire en réelle suffisance. Le disperser ne peut que multiplier les difficultés, y compris pour les opérateurs économiques. Les contraintes juridiques qui sont apparues depuis un an sont toutes produites en résultat de l’application du principe de dispersion des nuisances aéroportuaires en fonction de critères politiques. Le choix de cette option est l’unique cause de l’instabilité imposée à l’aéroport, laquelle perturbe la planification de nouveaux investissements, ni plus ni moins. Les déclarations d’Yves Leterme, qui prône en boucle le sens de la responsabilité, comme un professeur qui aurait oublié sa leçon, est un des principaux responsables de cette situation puisqu’il fait tout pour que se maintienne la logique absurde de la dispersion. En dépit du bon sens, insidieusement, le projet avance d’une loi de dispersion qui veut légaliser l’illégalité et prétend supprimer l’accès égal au droit pour chaque citoyen. Disposition absurde, car d’autres recours seront engagés, notamment à l’échelon européen ; et l’incertitude juridique causée par le principe de dispersion pèsera sur l’aéroport pendant des années encore.
Désinformer encore et encore
Décidément tout à fait à court d’arguments, des voix au SPA ont évoqué en trémolo « la fin de la Belgique » si jamais la Région bruxelloise devait réclamer les astreintes qui lui sont dues désormais. Ce nouveau chantage n’est guère plus crédible que les précédents et ne pourra obtenir, chez quelques opportunistes francophones, qu’une considération de complaisance. Il faut être sérieux. Comment la Flandre pourrait-t-elle se présenter au concert des nations européennes en expliquant que c’est le principe de dispersion des nuisances d’un aéroport qui lui rapporte déjà tant qui aurait été la cause inexorable de son nécessaire affranchissement ? Il faudrait au candidat Président de la République de Flandre qu’il puisse expliquer qu’il n’existait pas d’autre issue que de pouvoir organiser un survol intensif nocturne au-dessus des quartiers densément peuplés d’une capitale. S’agissant aussi de la leur au demeurant, les états membres de l’Union européenne devraient avaler sans grimacer ce bobard surréaliste pour le coup bien belge et inexportable. Il faudrait aussi expliquer que les règles de l’état de droit belge, tributaires du droit européen, n’avaient pas lieu d’être respectées. Eclairés par un regard extérieur, assis ensemble sur notre tas de linge sale, frères ennemis échevelés par une dispute absurde, nous atteindrions là le parfait ridicule.
Le principe de dispersion est un principe de dislocation
Les esprits politiques un peu faibles qui seraient tentés de céder maintenant aux exigences maximalistes de l’actuel gouvernement flamand pour avoir la paix demain en seraient pour leurs frais. C’est exactement le contraire qui adviendrait. La finalité du principe de dispersion est bien le chaos. V
ouloir disperser la souffrance qu’engendre le bruit des avions, puis l’augmenter ensuite année après année, c’est mettre en route une machine infernale, garantie d’efficacité sur facture, qui sert à stimuler les antagonismes dans une spirale inflationniste. Si une autre logique ne peut prévaloir dans ce dossier, quand il faudra former le prochain gouvernement fédéral, le problème se représentera tout entier pour constituer un obstacle supplémentaire qui pourrait être dangereusement surnuméraire. La frustration grandissante des bruxellois pillés de leur cadre de vie, une concurrence économique de plus en plus durement ressentie, le développement des antagonismes entre populations voisines, une accumulation dangereuse avec les tensions liées au statut intermédiaire des communes à facilités et l’échéance de BHV ; tout cela concourt à rendre beaucoup plus réaliste le risque d’explosion. Retirer le principe de dispersion de cette liste, c’est l’alléger beaucoup et déshypothéquer l’avenir.
Le 21 octobre 2005
à 17:49