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L'apocalypse pétrolière ?

UN ARTICLE DE JOAN CONDIJTS paru sur lesoir.be

La fin de l'ère du pétrole ressemblera davantage à un évanouissement qu'à une apocalypse.
Le 4 février 1949, dans une revue scientifique américaine, paraît un article intitulé « Energy from fossil fuels » (l'énergie des carburants fossiles). Marion King Hubbert le signe. Employé chez Shell, géologue de formation, l'homme affirme que l'ère pétrolière sera de courte durée (quelques dizaines d'années) et, surtout, esquisse un modèle mathématique qui prévoit le déclin de la production américaine de pétrole aux alentours de 1970. La publication demeure confidentielle. Mais la bombe est amorcée.

Sept ans plus tard, le scandale éclate. Au coeur de l'Amérique pétrolière. Au Texas.

En 1956, M. Hubbert expose ses conclusions devant le « Petroleum Institute » de San Antonio. Raillée, moquée, la théorie du quinquagénaire se vérifiera pourtant. En 1970. Comme annoncé. Dans les « seventies » est, en effet, observé un déclin des « derricks » - actuellement, les Etats-Unis sont d'ailleurs condamnés à importer plus de la moitié de leur pétrole. Hubbert entre au panthéon de l'or noir...

Aujourd'hui, tandis qu'en surfant largement au-dessus des 50 dollars, les cours du brut semblent s'inspirer d'une doctrine aérienne (« sky is the limit »), le pic dit de Hubbert - une courbe en forme de cloche qui reflète l'évolution de la production d'or noir - ne cesse d'alimenter les débats. Et de diviser la communauté scientifique, sinon d'inquiéter la Maison-Blanche. Car la sphère pétrolière ne s'appuie que sur deux certitudes. Primo, les sources d'huiles s'épuiseront. Secundo, depuis 1860, l'humanité a déjà extrait et consommé environ un billion (mille milliards) de barils d'or noir. Le reste n'est que conjectures. Ou presque. Combien de litres sommeillent encore sous les terres et océans ? Quand la production mondiale atteindra-t-elle le « pic » ?

Plusieurs scénarios existent, confirme Alain Préat, professeur de géologie à l'Université libre de Bruxelles (ULB) et spécialiste des questions pétrolières. D'aucuns considèrent que nous avons déjà atteint le pic en 2003 ; d'autres le voient en 2007-2008. Et la plupart des compagnies pétrolières tablent sur 2030. Il faut, en outre, préciser que le pic ne signifie pas la fin du pétrole, c'est seulement le moment où nous aurons consommé la moitié du gâteau.

Aux facteurs géologiques qui empêchent de dater ledit pic, s'ajoute l'inconnue technologique : On est par exemple passé de la sismique (envoi d'ondes sur les couches géologiques, NDLR) en 3D à une sismique en 4D, explique le géologue. Résultat : Cela permet de voir les mouvements des fluides à l'échelle d'un gisement et donc d'améliorer l'exploitation.

Forages horizontaux, offshore « ultraprofond » (plus de 1.500 mètres), meilleurs taux de récupération - en moyenne, seuls 35 % des hydrocarbures enfermés dans les champs sont extraits -, exploration plus efficace... Si la technologie repousse théoriquement le moment du deuil pétrolier, une hausse des prix qui s'installerait durablement, ouvrirait également de nouvelles perspectives : Le coût de production d'un baril se situe entre 0,5 et 2 dollars en Arabie Saoudite, entre 8 et 10 dollars aux Etats-Unis, entre 9 et 12 dollars en mer du Nord, entre 10 et 15 dollars pour de l'offshore profond et environ 15 dollars pour des pétroles dits « non conventionnels » (sables asphaltiques, huiles extra-lourdes, etc.), précise Alain Préat. Beaucoup de scénarios, vu l'augmentation des prix, prévoient une cohabitation à terme des pétroles conventionnels et non-conventionnels dont l'exploitation pourrait devenir économiquement viable.

Selon la plupart des experts, les réserves « prouvées » avoisineraient le billion de barils. Dans son rapport sur les « Perspectives mondiales 2004 », publié ce mardi, l'Agence internationale de l'énergie (AIE) plaide, cependant, pour l'instauration d'un mode de calcul (desdites réserves) « transparent et cohérent ». Se référant au récent scandale de la surestimation des réserves du géant anglo-néerlandais Shell, l'organisme estime que « la fiabilité » des compagnies a été « sévèrement mise en question » sur ce point. Le vocable « prouvé » recouvre la quantité d'or noir pouvant être extraite d'un gisement dans les conditions techniques et économiques actuelles. Existent également des réserves dites « probables » qui présagent d'un futur technologiquement et économiquement plus favorable.

En somme, beaucoup d'estimations. Autant d'inconnues. L'eldorado pétrolier ne devrait, néanmoins, pas surgir dans ce brouillard : La probabilité de trouver des champs super géants (ces derniers, au nombre de 50, concentrent 40 % des réserves mondiales, NDLR) semble se réduire puisqu'entre 1950 et 1970, on en a trouvé 26, entre 1980 et 2000, 4, indique Alain Préat.

Le pétrole s'épuisera. Mais la fin de l'or noir relèvera vraisemblablement plus de l'évanouissement que de l'apocalypse. Une perspective que l'Agence internationale de l'Energie estime encore lointaine. Dans son scénario de référence, malgré une hausse de la demande mondiale d'énergie de 60 % entre 2004 et 2030, l'organisme considère que cette augmentation sera couverte à hauteur de 85 % par les énergies fossiles (gaz, charbon, pétrole). Et l'or noir jouera les protagonistes dans ce tableau énergétique.

Aveuglement ? Optimisme de l'instance internationale ? « Notre ignorance n'est pas aussi vaste que notre incapacité à utiliser ce que nous savons », disait Marion King Hubbert.
Des lendemains qui roulent pour et malgré l'or noir
Quelle source d'énergie remplacera le pétrole ? La réponse participe de la science-fiction. La question ne commencera, en effet, réellement à se poser que dans plusieurs décennies. De plus, gaz et charbon, deux combustibles susceptibles de prendre (relativement) rapidement le relais du brut, bénéficieraient, selon la plupart des experts, d'une longévité plus grande que l'huile. De plus, malgré l'actuelle hégémonie pétrolière, la scène énergétique est en constante évolution et l'or noir voit sa prééminence attaquée de tous côtés...

Aussi, l'envol des cours du brut favorise-t-il la compétitivité des sources d'énergie renouvelables. Au-dessus de 40 dollars le baril, soit des niveaux actuellement observés sur les marchés internationaux, des éoliennes ou des panneaux solaires peuvent se révéler plus intéressants (pour la production d'électricité) que le pétrole. Sans parler de l'énergie nucléaire. Le « hic » ? Comme l'a indiqué ce mardi Claude Mandil, directeur de l'Agence internationale de l'énergie : Les prix pétroliers devraient fortement se replier d'ici 2006. Même si la tendance haussière (par rapport aux niveaux observés dans les années nonante) demeure, l'investissement « de rechange » n'apparaît pas encore comme une nécessité.

Le pétrole est, néanmoins, menacé. Sur la route principalement. Le constructeur automobile japonais Toyota entend, par exemple, vendre 47.000 « Prius » aux Etats-Unis, un modèle hybride (électricité-essence), soit un doublement en un an (24.000 en 2003). Et l'allemand Mercedes a annoncé une motorisation du même type dans les cinq prochaines années. Techniquement, on pourrait déjà rouler à l'électricité, précise Gaston Maggetto, professeur honoraire en électro-technique à la VUB. Le principal obstacle est psychologique : l'autonomie d'un véhicule électrique est de 100 km mais 20 % à 30 % du parc automobile actuel ne roule pas plus de 20 à 30 km par jour. Ce serait donc possible. Autres obstacles de taille : Les constructeurs ne font guère d'efforts car ce n'est pas dans leur intérêt. La durée de vie d'un moteur thermique n'excède pas 10.000 heures (un peu plus d'un an, NDLR) alors que celle d'un moteur électrique est de 7 ans, indique Gaston Maggetto qui pointe également un prix à l'unité largement supérieur dû à la faiblesse de la demande.

Menacé, attaqué, le pétrole n'est, cependant, pas enterré... La panacée énergétique, et partant l'hallali pétrolier (sinon de l'ensemble des combustibles fossiles), sera sans doute engendrée par la fusion nucléaire.
Ecrit par Cherche l'info, le Mercredi 27 Octobre 2004, 17:56 dans la rubrique "Les autres nouvelles".