Une Carte Blanche de Jean-Pierre Ghosez Commandant de bord, instructeur publiée dans Le Soir.
Il n'est pas de jour sans qu'une décision de justice ou une déclaration de l'une ou l'autre des associations de riverains ne mette le dossier des nuisances sonores à la une. Mis au pied du mur, les hommes politiques vont donc - en principe - devoir prendre leurs responsabilités.
Il est sûr, en revanche, que d'autres acteurs du dossier seront obligés de prendre les leurs - avec, le cas échéant, une sanction à la clé. Il s'agit des pilotes et des contrôleurs aériens. Les sanctions ne seront jamais, quoi qu'il advienne, à charge des géniteurs du plan de dispersion ou des experts choisis par eux.
Il n'y a de responsabilité que s'il y a possibilité de sanction. Or, ces décideurs, quand ils ne s'offrent pas une immunité à travers un dispositif juge et partie, considèrent toute décision prise comme avalisée du fait des compétences qu'ils s'accordent sans avoir dû les démontrer.
Mais qu'ont déjà eu à subir les pilotes en Belgique ?
En commission de l'infrastructure, à la Chambre, en 2004, un responsable du Service fédéral Mobilité, n'arrivant qu'en fin de séance, déclara abruptement que les normes de vent dont les pilotes demandaient le respect n'étaient destinées qu'à « leur confort » !
Voici donc un parachuté politique, dont la formation n'était aucunement aéronautique, intervenant dans le contenu d'une séance dont il n'avait rien entendu et dans un domaine dont il ne connaissait que ce que ses experts, choisis, lui avaient indiqué, si pas dicté. De quoi inquiéter, si tout est à l'avenant. Car quand bien même il s'agirait du « confort » des pilotes, ne serait-il pas aussi celui des passagers : le confort de la sécurité ?
Lors de cette même réunion, un autre parachuté politique, cette fois chez Belgocontrol, y est allé de surprenantes déclarations sur l'usage des pistes 07 (l'inverse des habituelles 25 avec survol de la ville à l'atterrissage). Quel poids ont de telles affirmations quand on connaît le contexte (et donc le choix) des nominations à de tels postes ?
Plus tôt, il y avait eu l'approbation de la « route Onkelinx », du nom de cette ministre d'un jour (dans cette fonction) qui avait donc la chose dans ses « compétences », subites pour le moins. Cette route dite « du canal » reçut ainsi, le 4 mai 2003, l'aval en matière de sécurité du directeur financier de BIAC, du directeur général de l'administration des transports ainsi que du directeur des opérations de Belgocontrol. Des « techniciens » ou des hommes de pouvoir devant obtempérer pour y rester ?
Et pour permettre un usage des pistes à la demande, tout ce petit monde politisé a ainsi inventé des règles tout à fait particulières dont l'usage n'existe qu'à Bruxelles-National - on a créé le vent de cinq noeuds (9 km/h), avec rafales à 7 noeuds (13 km/h), soit un écart de 2 là où, avant, il n'en était fait mention qu'à 10 noeuds. Bruxelles est devenu, du coup, le seul aéroport où de telles valeurs sont annoncées à des pilotes ébahis. Plus ébahis encore lorsque la tour leur refuse une meilleure piste en déclarant que c'est pour des « raisons politiques ».
Et lorsqu'on exige des pilotes qu'ils laissent plus de 500 mètres de piste derrière eux au décollage sur les pistes 20 ou 07 droite pour les envoyer, le cas échéant, croiser un autre avion qui atterrit, on transgresse tout ce qui est dit et répété en la matière.
Celui qui, sous la pluie et subissant ainsi l'absurde, devrait interrompre son décollage et donc arrêter son avion sur le caoutchouc qui jonche la fin de ces mêmes pistes 20 et 07, terminera hors piste. Ce paramètre - pourtant vital - du caoutchouc laissé par les pneus lors des atterrissages est occulté pour la « bonne cause » politique.
De plus, les compagnies, frileuses de voir la fluidité et donc la régularité du trafic encore plus affectées, semblent avoir éteint les moyens d'expression des pilotes, nous dit-on. Courage, fuyons ! La régularité des vols prendrait- elle le pas sur la sécurité par accoutumance ?
De telles mises sous tutelle sonnent la fin du processus démocratique. L'arrogance du pouvoir est aujourd'hui de dire tout et son contraire sans honte aucune. Le tout sur la base de raisonnements spécieux. Sinon comment expliquer que, trois décennies durant, j'ai été amené - comme tous les autres pilotes - à utiliser la piste 25 avec des vents arrière de plus de 10 noeuds ? Comment expliquer autrement encore que plus tard, par pure politique, l'administration compétente impose une valeur de 5 noeuds, en y incluant la rafale alors que par le passé elle « n'existait pas » ?
En deux mots, l'irresponsabilité règne là où la fin justifie les moyens.
On a vu à Pécrot deux trains se télescoper pour une seule petite chose inhabituelle. Les procédures en vigueur à Bruxelles-National créent chaque jour le canevas d'un tel événement dramatique.
Si tel devait être le cas, on verrait les mêmes politiques prendre leurs responsabilités pour annuler demain ce qu'ils ont eux-mêmes institutionnalisé aujourd'hui.
N'a-t-on pas vu après le récent accident d'un Airbus, à Toronto, certains s'inquiéter de ce qu'à la fin d'une piste, il pourrait y avoir le vide, un TGV, une autoroute, un hôtel ? Se rappelle-t-on l'accident d'un DC-8 Swissair à Athènes, en 1979, qui reste un exemple pour la profession ? L'équipage, qui, il est vrai, avait atterri un peu long et un peu vite comme à Toronto, a été l'invité des prisons grecques. Il avait dépassé la fin de la piste de 30 mètres... Et aucune association ni aucun politique n'ont pu lui éviter d'y rester !
Si une telle chose devait nous arriver, une commission tenue par les mêmes tenterait sans nul doute d'expliquer la décision prise à ce moment, pour se garder de mettre en cause les prédécesseurs et l'absence des décisions qu'il aurait fallu prendre. Et suivrait la valse des experts et autres commissions. Comme pour la Sabena. En attendant, le mal aurait été fait. En venant d'en haut. C'est-à-dire venant d'« irresponsables ». Dans tous les sens du terme, on l'aura compris.
politique
à 10:04