--> UN AEROPORT ULTRAMODERNE... MAIS PAS assez DE PASSAGERS POUR EN PROFITER
Un article du Trends
L'aérogare est flambant neuve... mais désespérément vide. Une étude d'Arthur D. Little souligne le potentiel économique de l'aéroport de Liège. Pourtant, entre le départ de plusieurs compagnies cargo et le recul du fret, Bierset n'est pas au mieux de sa forme. Du coup, l'aérogare est louée comme une vulgaire salle des fêtes... Le gouvernement wallon mettra-t-il enfin un peu d'ordre dans la politique des aéroports ?
Elle a fière allure, la nouvelle aérogare de Liège, en ce début avril. Les autorités liégeoises ont d'ailleurs rasé le bosquet qui en masquait la vue depuis l'autoroute. A l'intérieur, c'est une tout autre histoire. En dehors des techniciens de surface qui l'astiquent à longueur de journée et du personnel de sécurité, seuls quelques quidams profitent de la coûteuse infrastructure. Leurs pas résonnent sur la pierre polie du hall pratiquement vide. Derrière le comptoir d'information, l'agent tue le temps en scrutant le plafond. Le marchand de journaux s'occupe comme il peut, dans l'attente d'un hypothétique client. Quatre individus en bleu de travail sont attablés dans la cafétéria.
Tous les mouvements de la semaine tiennent sur le panneau d'affichage. Málaga, Alicante, Monastir... Détail presque risible : à côté de chaque numéro de vol, le jour du départ est précisé. Certes, la haute saison n'est pas encore là. Avec les beaux jours, le nombre de liaisons charter à partir de Bierset augmente : 22 prévues chaque semaine pendant l'été. Dont 19 opérées par le voyagiste Thomas Cook. Un peu léger pour justifier la construction de cette ode au verre et à l'acier, d'un coût total de EUR 32 millions (EUR 7 millions de dépassements).
A Liège, le sujet est tabou. On préfère relever que le trafic passager est en hausse : 239.000 embarquements en 2005, contre 200.000 un an plus tôt. A ce rythme, l'aéroport devrait atteindre 500.000 passagers en 2010, seuil permettant l'amortissement de la nouvelle aérogare, souligne Luc Partoune, directeur général de la Société de l'aéroport de Bierset (SAB). Mais insuffisant pour couvrir les frais de fonctionnement de ce bâtiment conçu pour un million de voyageurs par an. Afin de compenser le manque à gagner, la SAB propose l'aérogare en location pour des banquets et fêtes d'entreprise. L'hiver dernier, elle a accueilli les v£ux du Parlement wallon, présidé par José Happart (par ailleurs président en congé de... la SAB). Et les caustiques se gaussent du financement par la Région wallonne de "la plus grande buvette de Wallonie".
Luc Partoune ignore ces sarcasmes. "Nous n'y pouvons rien s'il n'existe pas, à Liège, de lieu de qualité similaire susceptible d'accueillir 2.000 personnes avec une telle surface de parking, plaide-t-il. De toute façon, la nouvelle aérogare a été financée sur les fonds propres de la SAB. Le contribuable wallon n'a pas été sollicité." Une interprétation discutable. La Société wallonne des aéroports (Sowaer), entreprise publique régionale, a avancéà la SAB la totalité du montant en question. Et supportait dès lors l'ensemble du risque financier.
Pourtant, il existe à Liège un marché pour le transport de passagers. Une étude toute fraîche du consultant Arthur D. Little, commandée par le gouvernement wallon, le confirme. Elle n'estime toutefois ce potentiel qu'à 600.000 à 700.000 voyageurs par an d'ici... 2015.
En attendant, il s'avère difficile d'attirer des compagnies aériennes sur le tarmac de la cité ardente. Aer Arann a jeté l'éponge. Cette compagnie irlandaise à bas prix avait annoncé l'ouverture, au printemps, de trois liaisons régulières à partir de Liège vers Lorient, Birmingham et Londres-Luton. Faute de clients, Aer Arann renonce aux deux premières et reporte de six mois le lancement de la troisième. Le temps de réévaluer le marché. Certains des avions charters de Thomas Cook au départ de Liège se posent d'abord... à Zaventem, avant de rejoindre Bierset, quand le nombre de voyageurs embarqués à Liège ne suffit pas à rentabiliser le vol.
"Notre confiance reste acquise à Bierset, qui recèle un certain nombre d'avantages pour nos clients, tels que des tarifs de parking inférieurs à ceux de Bruxelles-National, assure néanmoins le porte-parole de Thomas Cook. Les agences de voyages à Liège réclament aussi de pouvoir offrir des départs depuis la région." Le voyagiste croit en tout cas suffisamment en sa plateforme principautaire pour offrir à présent des vols réguliers vers Palerme et Barcelone. Ce service est le fruit d'un partenariat novateur entre Thomas Cook et TNT Airways. Le second met, le jour, deux appareils cargo (convertibles pour le transport de passagers) à disposition du voyagiste.
Depuis 1998, la SAB a lié son destin à celui de la compagnie de courrier express TNT, dont 40 avions se succèdent chaque nuit à Bierset. L'emménagement du centre de tri européen du transporteur néerlandais a hissé l'aéroport liégeois dans le Top 10 du fret aérien en Europe. En huit ans, l'effectif employé par TNT à Liège est passé de 794 à 1.542 personnes (dont 368 pour la compagnie TNT Airways). Aujourd'hui, la société batave relie 70 villes à partir de Bierset, contre 46 huit ans plus tôt. Et semble se plaire à Liège, puisqu'elle prévoit d'investir EUR 98 millions supplémentaires d'ici 2010. Le futur terminal de traitement de conteneurs devrait offrir de l'emploi à 245 personnes de plus.
Tout le monde n'apprécie pas autant le climat liégeois. Polar Air Cargo et China Southern Airlines Cargo se sont envolées définitivement, voici quelques mois. Et avec elles le trafic important qu'elles drainaient depuis plusieurs années vers Bierset. L'aéroport a également perdu une partie du flux de marchandises vers l'Afrique. Enfin, la compagnie du Golfe Emirates Cargo, qui opérait à un moment 5 vols par semaine à partir de Bierset, n'y atterrit plus qu'occasionnellement.
Aujourd'hui, Bierset cale. En 2005, le trafic fret a perdu 60.000 tonnes, chutant à 325.000 tonnes. Les finances s'en sont ressenties. Le chiffre d'affaires de la SAB s'est affaissé de EUR 2 millions l'année dernière. Et la rentabilité a basculé dans le rouge (lire l'encadré ). Dans certains cas, la direction a joué de malchance. "China Southern s'est liée à KLM au sein de l'alliance
Sky Team, rappelle Luc Partoune. Ils ont donc choisi de privilégier Amsterdam." Polar Air, de son côté, a traversé une zone de turbulences financières, qui l'a contrainte à réduire sa flotte. L'aéroport ne serait cependant pas exempt de toute responsabilité dans ces départs. "Pour Emirates, la SAB n'a pas honoré son engagement d'accroître les emplacements de parking pour aéronefs, condamne une société active sur le site. Ils ont préféré bâtir leur cube de verre à la place." La direction de Bierset dément.
Les critiques fusent sur la politique commerciale de la SAB. Ainsi, malgré la plateforme multimodale voisine (rail-route), l'aéroport souffre de l'absence, sur son site, de "consolidateurs". Ces sociétés regroupent des chargements de plusieurs provenances puis les expédient en lot afin de réduire les coûts. "La SAB démarche les compagnies cargo plutôt que ces ensembliers, regrette un opérateur du site. Or, le volume de marchandises s'avère insuffisant pour remplir leurs soutes. Et elles s'en vont." Luc Partoune rétorque que la SAB fait face au dilemme de la poule et de l'£uf : "Pour attirer des consolidateurs, ils nous faut des compagnies aériennes à Bierset !"
Pour l'heure, les compagnies CAL (produits frais en provenance d'Israël) et Icelandair (poisson) restent fidèles à Liège. L'américaine Kalitta Air également. A la différence des deux premières, néanmoins, Kalitta ne génère pas d'activité sur place. La compagnie US, qui transporte notamment le courrier adressé aux GI's d'Irak, fait juste le plein de kérosène à Liège avant de repartir. Ce type de service, sans réelle valeur ajoutée, représente malgré tout 8,5 % du chiffre d'affaires de la SAB. "Cela fait beaucoup de bruit et beaucoup d'investissements pour des retombées limitées en Région wallonne", ironise Bernard Westphaël, député régional Ecolo.
"L
es pouvoirs publics ont consacré en tout plus de EUR 700 millions à Bierset depuis 1998, si l'on inclut le budget affecté aux missions déléguées (expropriations, isolations, etc.), s'émeut Bernard Westphaël. L'aéroport de Liège est presque un plan Marshall à lui tout seul ! Les pouvoirs publics ont financé à Bierset les emplois les plus coûteux de Wallonie." A présent que l'infrastructure existe, il convient néanmoins de la valoriser au mieux, reconnaît le député.
"On est loin du compte, se lamente cependant notre opérateur anonyme. Si Bierset est un outil aéronautique fantastique, c'est l'une des seules sociétés d'aéroport qui n'a pas d'obligation de résultats." Comme souvent en Wallonie, les organes de direction sont noyautés par des dignitaires locaux, issus de tous les partis politiques. Faute de culture du résultat, on investit beaucoup à Bierset, mais on évalue peu. Entre 2001 et 2007, la Sowaer aura injecté EUR 250 millions dans l'infrastructure aéroportuaire liégeoise. Comme pour le circuit Francorchamps, la logique des pouvoirs publics semble être de dépenser, puis d'aviser.
"C'est le schéma classique de la mal-gouvernance wallonne, raille un fin connaisseur des aéroports du sud du pays. On compose le conseil d'administration avec des représentants politiques qui ne lisent pas leurs dossiers. On ne sollicite pas d'administrateurs indépendants. Ou alors, des faux. Et lorsqu'on leur présente un projet d'investissement, ils applaudissent en disant : de tout façon, c'est la Sowaer qui paie ! A la SAB, même le directeur général est un militant engagé politiquement." Luc Partoune était 11e sur la liste du Parti socialiste à Liège lors des élections législatives de 2003. "Il s'agissait d'un passage météorique", précise le service de communication de la SAB.
Dans son étude, Arthur D. Little prédit une croissance annuelle du trafic fret de 5 % par an. A condition d'adapter la politique commerciale de la SAB à l'explosion des échanges avec l'Inde et la Chine, notamment. Sera-ce suffisant pour rentabiliser les investissements consentis ? L'étude sera présentée en mai au gouvernement wallon. La Région semble décidée à faire un peu de nettoyage dans sa politique aéroportuaire.
Sans subsides, point de salut
La Société de l'aéroport de Bierset (SAB), propriétaire de l'aérogare liégeoise, est détenue à 50 % par SLF Participations (Société liégeoise de financement), entité appartenant à la mouvance publique liégeoise - majoritairement socialiste - épaulée par Dexia et Ethias. Ces jours-ci se tient l'assemblée générale de la SAB. Elle doit se prononcer sur les comptes de 2005, année où le résultat net est légèrement déficitaire (- EUR 30.000).
Les derniers comptes disponibles, ceux de 2004, montrent cependant que "la machine tourne". Avec un résultat courant avant impôt (EUR 2,84 millions) correspondant environ à 10 % du chiffre d'affaires (EUR 28,3 millions), la SAB est parvenue, après prise en compte des éléments exceptionnels et des impôts, à dégager un bénéfice permettant de distribuer un dividende de EUR 2.025.000 à ses actionnaires. Soit un rendement sur capitaux investis de 21 %. En 2003, ce pourcentage atteignait 36 %.
Une observation attentive des comptes fait toutefois apparaître que le chiffre d'affaires provient à plus de 50 % de subventions, dont une partie est ristournée à la Sowaer. Sans ces subventions, point de dividendes possibles... Le capital de la SAB n'étant que partiellement libéré, les actionnaires réinjectent leurs dividendes en libération de capital. Par ailleurs, la SAB conserve une dette à long terme importante, notamment envers SLF Finances. Une dette qui génère bien sûr des intérêts. Paradoxe : la SAB dispose, à l'actif de son bilan, de placements de trésorerie pour pas moins de EUR 14 millions, un matelas financier qui a gonflé de plus de 40 % au cours de la seule année 2004. Là encore, les subventions ne se transforment-elles pas en charges financières au profit de la galaxie SLF ?
Quant à la société Aéroports de Paris Management (ADPM), présentée d'abord comme un actionnaire stratégique de nature à drainer du trafic vers Liège au détriment de Paris (trop encombré), elle se révèle finalement un actionnaire financier soucieux de préserver sa minorité de blocage. Qui lui permet d'empêcher l'arrivée, dans le capital, d'un éventuel concurrent !
Par ailleurs, la Société wallonne des aéroports (Sowaer) a déléguéà SLF la capacité d'exproprier pour le compte de la Région wallonne. Elle est donc en charge, notamment, du rachat des immeubles situés dans la zone de l'aéroport. Elle les paie au prix fort, mais doit faire figurer les biens rachetés à hauteur d'un euro symbolique dans sa comptabilité. L'écart entre la valeur de rachat et l'euro symbolique est supporté par la Sowaer. Mais c'est SLF qui est et reste propriétaire de ces terrains. Autant d'opérations réalisées avec de l'argent public.
à 15:04