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La distribution est désemparée face aux "alterconsommateurs"

--> Un article dans LE MONDE | 14.07.04 | 14h21
Pour la première fois depuis dix ans, les ventes de produits de grande consommation sont en baisse alors qu'ils progressaient de 3 % à 4 % par an ces dernières années. Parmi les raisons évoquées figure le rejet de la consommation de masse par une certaine catégorie de population.
Ce n'est pas encore la panique, mais les fabricants de produits alimentaires et les distributeurs sont en pleine expectative. Pour la première fois depuis dix ans, les ventes de produits de grande consommation sont en baisse. Selon l'institut IRI-France, depuis le début de l'année, leur chiffre d'affaires a chuté de 0,8 % à 1 % en volume. "Il y a clairement une rupture", note Jean-Pierre Gaucher, directeur général adjoint d'IRI-France, qui remarque que, ces dernières années, le marché progressait régulièrement de 3 % à 4 % par an.

Dans un premier temps, la forte hausse des prix des marques nationales a été pointée du doigt pour expliquer l'atonie de la consommation. Mais l'explication semble insuffisante, vu l'ampleur du phénomène. De grandes marques de camembert dit "industriel" accusent un plongeon de 40 % ces trois dernières années. Les plats cuisinés sont en recul de 6 % depuis 2000. Certains dentifrices connaissent une descente aux enfers. L'inquiétude grandit d'autant plus que les causes de cette désaffection restent mal identifiées par les grands groupes, qui rechignent à se remettre en cause.

"Le consommateur exprime sa déception face à des marques qui ont échoué à tenir leur promesse de démocratisation de la consommation, analyse Danielle Rapoport, psychosociologue. Celles-ci se sont lancées dans une course à l'innovation, qui n'a pas été perçue par les consommateurs comme un bénéfice réel. L'effet produit a été inverse à celui recherché, en rendant la marque moins désirable."

Cette rébellion du consommateur semble de plus en plus perceptible. "Dans les réunions que nous organisons, on voit surgir des thèmes nouveaux qui prennent un vrai essor depuis 2002 : par exemple, rejets de packagings inutiles, interrogations sur le bien-fondé de la nouveauté pour la nouveauté, sur les valeurs éthiques des entreprises. On sent émerger une forme de politisation de la consommation", constate Eric Foulquier, PDG du cabinet Théma, qui qualifie ces nouveaux comportements d'"alterconsommation".

Cette façon de consommer différemment a été identifiée grâce à une étude menée par Universal Comcord, filiale du groupe de publicité . En croisant un certain nombre de critères de comportement auprès de 10 000 personnes représentatives de la population française, l'enquête conclut que de 15 % à 25 % d'entre eux seraient des "alterconsommateurs". Une proportion qui est loin d'être négligeable, d'autant que ces "alter" appartiennent à des catégories socioprofessionnelles supérieures, à fort pouvoir d'achat. "Contrairement à une idée reçue, les "alter" ne sont pas du genre à cesser de consommer, ils sont au contraire surconsommateurs de plus de 250 produits répertoriés dans l'étude", souligne M. Fouquier. "La tendance à laquelle on assiste actuellement ne doit pas être interprétée comme un refus de consommer", explique Mme Rapoport. Et de préciser : "Ne pas consommer, c'est se marginaliser et à terme risquer d'être exclu."

Le credo de ces consommateurs d'un autre type se situe plutôt dans la différenciation. Ils cherchent ainsi à s'affranchir de la consommation de masse en se recréant des univers qui leur donnent l'impression d'échapper à un certain formatage. "Face à une surabondance et à une sophistication poussée à l'extrême de l'offre, certains consommateurs souhaitent reprendre le contrôle de leurs désirs en arbitrant de façon différente leurs achats, d'où une complexification de l'acte de consommation", affirme Mme Rapoport.

Ces "alterconsommateurs" ne sont pas pour autant "altermondialistes": ils ne veulent pas mettre à bas le système, mais simplement l'aménager afin de le rendre plus durable et plus acceptable à leurs yeux. Leur aspiration consiste à ne plus être considérés comme de simples consommateurs mais comme des sujets à part entière.

Dès lors, ils arbitrent leurs achats en fonction d'une certaine éthique et du respect de l'environnement. Ils se caractérisent également par une prise de distance par rapport aux marques et à la publicité. En cela, les "alterconsommateurs" s'opposent aux "hyperconsommateurs", qui, eux, sont en permanence soumis à des impulsions d'achat et à la recherche systématique de la nouveauté. Les marques leur sont indispensables, car elles leur permettent d'afficher un statut, voire une identité. "Le problème actuel, c'est que tout se passe en publicité comme si l'hyperconsommateur était le consommateur idéal, alors qu'il ne représente qu'au maximum 11 % de la population", constate M. Fouquier.

Le défi pour les marques et les distributeurs consiste à adopter un discours qui prenne mieux en compte les demandes de ces "alters". "La pensée unique de la mondialisation est angoissante pour les consommateurs, qui cherchent de plus en plus à se rassurer en se tournant vers leurs racines", affirme Olivier Geradon de Vera, économiste de la consommation, vice-président d'IRI-France. Cela se traduit par la recherche de produits misant par exemple sur la saveur, le plaisir, le terroir, des critères aux antipodes de la globalisation des goûts. Le consommateur a besoin d'attacher au produit une valeur immatérielle supérieure à sa valeur intrinsèque. Si la marque ou l'hypermarché sont incapables de la lui offrir, la sanction est immédiate ; quitte à acheter quelque chose qui ne répond pas exactement à ses désirs, autant le payer le moins cher, d'où le recours grandissant au maxidiscompte.

L'adaptation des enseignes de la distribution et des marques à ces changements de comportement des consommateurs n'est pas pour autant acquise. "Cette évolution remet en cause les fondements mêmes des systèmes actuels de gestion, qui, à force de centralisation, n'ont plus la flexibilité nécessaire pour s'adapter à la nouvelle donne, estime M. Geradon de Vera. On atteint les limites de la globalisation. D'ailleurs, on voit que le mythe de la marque mondiale est en train de s'effriter. Si le système se grippe actuellement, c'est parce que la créativité en produits réellement nouveaux n'a jamais été aussi faible." La recette pour faire revenir les "alters" dans le giron de la consommation reste à inventer.

Stéphane Lauer


Un complément d'information:(ARTICLE PARU DANS L'EDITION DU 15.07.04)


Deux groupes clairement identifiés


L'enquête réalisée par le cabinet d'études quantitatives Théma à partir d'un questionnaire portant sur 10 000 personnes représentatives de la population française identifie deux grands groupes de consommateurs : les "hyper" (11 % de la population) et les "alter" (25 %).

Les "hyper". Ce sont de gros consommateurs de produits technologiques, de jeux d'argent ou de hasard. Ils aiment le sport spectacle à la télévision ou dans les journaux, fréquentent les parcs à thème, achètent dans les temples de la consommation que sont les hypermarchés. Ils adorent la publicité. Dans les magazines, ils recherchent tout ce qui touche à l'amélioration des apparences comme les rubriques maquillage, beauté, mode. Les "hyper" sont surconsommateurs de soda, de "fast food", de chewing-gums, de fromages comme le Babybel, le Kiri ou le Caprice des dieux, de glaces en cornet.

Les "alter". La publicité les énerve. Ils sont prêts à payer plus pour des produits qui respectent l'environnement, utilisent des produits recyclés. Niant qu'une voiture puisse les qualifier, ils ne voient en elle qu'un outil pour les emmener d'un point à un autre. Ils lisent plus souvent que la moyenne Libération, Le Monde ou Le Point. Ils sont consommateurs de musées. Ils regardent France Télévisions plutôt que TF1. Les "alter" préfèrent le fromage à la coupe, privilégient globalement les goûts forts et authentiques, les chocolats noirs et forts, les glaces en pot type "Carte d'Or", se méfient des sodas.
Ecrit par Cherche l'info, le Lundi 19 Juillet 2004, 11:11 dans la rubrique "Les autres nouvelles".


Commentaires :

  brunaud
10-08-05
à 10:24

alterconsommateurs, nouvelles vache a lait bio?

Hello, j'ose répondre à votre article sur les alterconsommateurs, qui selon ce que vous écrivez me décrit un glissement des BOBO vers de nouvelles habitudes de consommation, quittant le renault espace pour une caisse plus petite et d'occasion, délaissant les marques pour du vrai et de l'AOC, tout en retapant la maison en dordogne en partie gràce à l'héritage d'un parent... 

Certes, les alterconsommateurs touchent selon moi un plus grand nombre d'individus, qui ont compris la différence entre un caddy rempli de packaging, qui, si on en garde que les produits se vide de moitié.

Les alterconsommateurs ne sont que de simples consommateurs qui veulent en avoir pour leur argent en viande, poisson, fruits, légumes etc... Les alterconsommateurs signent progressivement l'arrêt de mort du packaging abusif dont la valeur a fini par se rapprocher de trop près du contenu.

point besoin de relire BAUDRILLARD pour comprendre les limites du système des objets.

Ce qui a de la valeur à mes yeux, c'est ce qui permet de satisfaire les besoins primaires et physiologiques de l'homme , comme respirer, boire, manger, et non plus comme la hierarchie de MASLOW.

Pourquoi me direz vous?

car en 2005, lorsqu'on habite en ville pendant une journée d'inversion thermique à fort taux d'émission de gaz polluants irritants et avec une visibilité très réduite liée au phénomène de smog, l'habitant piègé dans cet univers, pense beaucoup plus à sa santé qu'au dernier gadget à la con qu'on essaye de lui vendre.

De plus, la société de consommation par l'objet a vécu, la chine commence déjà à en faire les frais, car les usines sont sérieusement menacées de surproduction, la demande ne suis plus.

Les entreprise ne fonctionnent plus, le recours des financiers pour dynamiser la croissance s'oriente de plus en plus vers les LBO (leverage buy out), croissance hypothètique financée par l'endettement massif des actionnaires et dirigeants auprès des banques...

Cette putain de course en avant profiterait à quelques privilégiés qui auraient déjà quitté les villes enfumées pour batir des châteaux en patagonie, suivez mon regard...

A court terme certainement, mais à long terme on en reparlera si je suis encore en vie.


  ChercheInfo
11-08-05
à 20:35

Re: alterconsommateurs, nouvelles vache a lait bio?

Ce n'est pas nous l'écrivons mais un journaliste du monde.
Il n'empêche... L'alterconsommation est le moindre mal dans cette société. Elle peut être un état ou un seuil. Etat de celui qui est peut-être économe, et vaguement altruiste ou seuil pour celui qui veut passer à une "aconsommation".

"l'habitant piègé dans cet univers, pense beaucoup plus à sa santé"... Les rencontres que nous faisons montrent que si le souci est peut-être la santé, il n'y a pas de raison pour le gérer: "je mangerai des aliments venus par avions ou camions qui auront pollué mon air" ou si l'on pollue que cela soit chez les autres....
Et ça seulement pour ceux qui seraient préoccupés par le sens de la vie... les autres préfèrent consommer malgré tout.