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Depuis 1990, la température a grimpé de 0,7 degré

NOUVEL OBS Semaine du jeudi 7 juillet 2005 - n°2122 - Dossier La vérité sur le réchauffement de la planète

Le réchauffement en 10 questions

Fonte des glaciers, montée des mers, bouleversement des écosystèmes: le changement climatique est en marche. Michel de Pracontal fait le point sur l’état de la science et les solutions envisagées

1. Quand le changement climatique va-t-il commencer?

Il a déjà commencé. Les années 1990 ont été les plus chaudes jamais enregistrées. En un siècle, la température moyenne à la surface du globe s’est élevée de 0,6 °C à 0,7 °C et le niveau des océans a monté de 20 centimètres, en partie à cause de la fonte des banquises et en partie du fait de la dilatation thermique des eaux marines. De nombreux glaciers alpins ont commencé à fondre. L’Europe a connu en 2003 une vague de chaleur sans précédent, qui a entraîné une surmortalité de 15 000 décès en France. Et cela va continuer: même dans le scénario le plus optimiste, le réchauffement global ne sera pas inférieur à 1,4 °C d’ici à un siècle.

2. Quel est l’impact du changement climatique sur les écosystèmes?

Les scientifiques du GIEC – le Groupe intergouvernemental d’Experts sur l’Evolution du Climat – évaluent les effets du climat depuis 1990. Ils ont analysé 2 500 articles concernant des animaux, des végétaux, des glaciers, des glaces de mer, de lac ou de cours d’eau. Résultats: sur 600 espèces vivantes considérées – animales ou végétales –, plus de 450 ont connu des changements conformes à l’hypothèse du réchauffement climatique. Dans l’hémisphère Nord, sous les hautes latitudes, la période de croissance de nombreux végétaux s’est allongée; les végétaux alpins ont migré vers les sommets; pour les espèces animales, on constate des augmentations de mortalité, des rétrécissements des aires de répartition et des baisses de la taille des populations. Les glaciers et les glaces de mer et d’eau douce, étudiés sur 150 sites, ont été modifiés sur une centaine de sites, quasiment tous dans le sens prévisible, à savoir la fonte de la glace.

3. A-t-on la preuve que ce changement est dû à l’activité humaine?

«Il y a encore dix ans, établir la réalité du risque climatique constituait le questionnement principal», note le climatologue Hervé Le Treut. Aujourd’hui la quasi-totalité des scientifiques estiment que les preuves accumulées sont suffisantes pour imputer à l’activité humaine la responsabilité d’un réchauffement provoqué par l’accumulation dans l’atmosphère de gaz à effet de serre, principalement dioxyde de carbone (CO2) mais aussi méthane, oxyde nitreux, dioxyde de soufre, etc. La preuve la plus flagrante réside dans la mesure de la concentration de CO2 dans l’atmosphère: depuis dix mille ans, elle est restée constamment voisine de 270 parties par million en volume (ppmv); et d’après les archives glaciaires, elle a varié entre 200 ppmv et 280 ppmv depuis 400 000 ans; à partir du début de l’ère industrielle – vers 1800-1850 –, elle a augmenté brutalement pour atteindre la valeur actuelle de 360 ppmv et elle continue une croissance exponentielle.

4. Quel est le mécanisme du réchauffement?

Dès 1896, le chimiste suédois Svante Arrhénius a déjà prédit et quantifié «une augmentation de la température moyenne de notre planète comme conséquence de l’utilisation industrielle des combustibles fossiles», note le climatologue Jean-Marc Jancovici. Le principe de base de l’effet de serre est analogue à celui d’une serre de verre, mais ce sont les gaz constituant l’atmosphère qui jouent le rôle de la vitre. La Terre est chauffée par le Soleil: 30% de l’énergie apportée par les rayons incidents sont réfléchis vers l’espace par l’atmosphère, les nuages et la surface de la planète; le reste est absorbé par l’air, les océans et le sol, et transformé en chaleur. Chauffée, la Terre émet des infrarouges dont l’essentiel est capté par les gaz à effet de serre (dioxyde de carbone, oxyde nitreux, dioxyde de soufre et méthane…), ce qui réchauffe l’atmosphère, laquelle renvoie une grande partie de l’énergie au sol. Si le nombre de molécules de gaz à effet de serre augmente, l’effet augmente aussi. La contribution principale vient du CO2, produit par la combustion du bois, du charbon, du pétrole ou du gaz. L’augmentation du CO2 atmosphérique est en partie contrebalancée par les océans et la végétation qui sont des «puits naturels de carbone»: le CO2 est absorbé par les eaux de mer ainsi que par la photosynthèse des plantes.

5. Quelle sera l’évolution future?

Pour tenter de la cerner, les scientifiques ont élaboré une série de scénarios généraux qui définissent différents modèles possibles de développement des sociétés humaines. «Schématiquement il y a quatre grands types de scénarios, explique Stéphane Hallegate, chercheur à Météo France et spécialiste de l’économie de l’environnement. D’abord la famille des scénarios A, caractérisés par une forte croissance industrielle très énergivore. Le scénario A1 est associé à une mondialisation et d’importants transferts de technologie, A2 à un marché plus découpé selon de grandes régions du monde; de même, on distingue les scénarios B1 et B2, fondés sur une croissance plus orientée vers le tertiaire et les technologies de l’information, et moins énergivores.» A partir de ces scénarios, on modélise la quantité de gaz à effet de serre émise, puis on détermine avec un modèle climatique l’impact en termes de réchauffement. Le résultat comporte une incertitude associée à chaque modèle. Schématiquement le plus mauvais scénario pour le climat est le type A2, le plus favorable étant B1. Au total, selon les scénarios et les modèles, on aboutit à l’horizon 2100 à un réchauffement compris entre 1,4 °C et 5,8 °C. En fait, ce sont surtout les continents qui se réchauffent, la température des océans s’élève à un rythme beaucoup plus lent. Ce qui explique que la hausse du niveau des océans dépende assez peu des scénarios: elle est trop lente pour être fortement affectée par ce qui se passe sur un siècle; les scientifiques l’estiment, d’ici à 2100, entre 9 et 88 centimètres.

6. Le Gulf Stream peut-il s’arrêter?

Dans l’Atlantique nord, les eaux chaudes de surface remontent vers le nord en même temps que les eaux froides des grands fonds dérivent vers le sud: c’est la «circulation thermohaline» qui entraîne un transfert de chaleur vers l’Arctique et dont la principale composante est le Gulf Stream. Or le changement climatique pourrait arrêter le Gulf Stream, entraînant le refroidissement au lieu du réchauffement de l’Europe et de l’Amérique septentrionales: c’est le scénario du film «le Jour d’après». Aucun des modèles actuels ne prévoit un tel scénario d’ici à 2100.

7. L’impact sur notre environnement dépend-il des scénarios?

Les puits naturels de carbone que sont les océans et la végétation reprennent à l’atmosphère de 2 à 3 gigatonnes de carbone (GtC) par an, alors que le niveau actuel des émissions se situe à 7 GtC/an. Par conséquent la concentration en CO2 continue d’augmenter et ne peut se stabiliser qu’à partir du moment où le flux des émissions est équilibré par les «séquestrations» de carbone par l’eau et les végétaux. L’intensité du réchauffement et donc son impact sur l’environnement seront très différents selon que la concentration en dioxyde de carbone se stabilise à 450, 550 ou 700 ppmv. Ainsi les modèles prédisent qu’en stabilisant la concentration en CO2 à 550 ppmv le risque d’inondation sur les côtes de l’Inde et du Bangladesh pourrait être divisé par dix, comparativement à un scénario de «laisser-faire». En France, avec un réchauffement de 3 °C à 4 °C (le résultat d’un scénario A2, croissance forte mais peu mondialisée), la canicule de 2003 se produirait un été sur deux à partir de 2080! Ces exemples montrent clairement que tout n’est pas joué: plus tôt nous agirons pour réduire les émissions de gaz à effet de serre, moindres seront les conséquences.

8. Y a-t-il une solution miracle?

Oui: ne plus brûler un gramme de combustible fossile! De manière plus réaliste, tous les spécialistes mettent l’accent sur le rôle primordial de la maîtrise de la consommation et des économies d’énergie. Le fait que la consommation d’énergie par habitant varie de 1 à 3 dans le seul monde industrialisé démontre qu’il existe un immense «gisement» d’économies d’énergie. Bien sûr on pourrait aussi imaginer de maintenir le niveau de la consommation égal tout en remplaçant autant que possible les énergies polluantes par des alternatives ne produisant pas ou peu d’effet de serre: transports électriques, véhicules hybrides, hydrogène, solaire… Reste le problème de l’avion, très important facteur de pollution pour lequel on n’a guère de solution alternative – du moins dans un horizon prévisible. Dans tous les cas, sans réduction de la consommation, l’approche qui consiste à simplement substituer une énergie propre à une énergie sale risque de ne pas suffire. En effet, il faut un long délai pour remplacer un système énergétique par un autre. Et agir vite constitue l’un des impératifs de la situation actuelle. Tout délai diminuera les marges de manœuvre et alourdira les conséquences déjà amorcées du changement climatique.

9. Et le nucléaire?

En France, l’option nucléaire est volontiers présentée comme une solution au problème du réchauffement. L’atome ou l’effet de serre? Entre le choix de Cadarache pour le projet Iter et les grandes manœuvres autour de l’EPR, la thématique connaît un regain d’actualité. Est-ce une solution? On peut imaginer de remplacer intégralement les véhicules thermiques par des transports électriques alimentés grâce aux centrales nucléaires, de ne plus se chauffer qu’à l’électricité, etc. En fait, un scénario de ce genre a été élaboré pour la France: on l’appelle «facteur 4», parce qu’il vise à diviser par 4 les émissions d’ici à 2050 (1). Les auteurs font l’impasse sur «toute restriction de l’utilisation de l’énergie nucléaire pouvant provenir de la question des déchets à vie longue, des ressources ou de la prolifération». Ils concluent que si le scénario est théoriquement applicable à l’Hexagone, il n’aurait d’impact significatif qu’étendu à la planète. Or développer l’option nucléaire massive universelle à l’échéance de 2050 ne semble pas réaliste. De plus, il n’est pas certain que les ressources en combustible nucléaire (uranium ou thorium) soient suffisantes et à un coût compatible avec le scénario. En fait, selon les hypothèses les plus réalistes, le nucléaire ne pourrait résoudre qu’une petite partie du problème de l’effet de serre. L’association scientifique Global Change estime que le nucléaire réduirait les émissions de gaz à effet de serre de 16% en France et de 11% à l’échelle mondiale.

10. La lutte antiréchauffement est-elle économiquement viable?

Au niveau des efforts menés actuellement, la réponse est sans aucun doute affirmative: «Entre 1990 et 2000, l’économie de la Grande-Bretagne a connu une croissance de 30%, l’emploi a augmenté de 4,8%, et l’intensité de nos émissions de gaz à effet de serre a diminué de 30%, tandis que le total des émissions chutait de 12%», écrit sir David King, conseiller scientifique de Tony Blair («Science», 9 janvier 2004). Les Chinois, eux, ont connu sur la même période une croissance de 60% mais l’intensité de leurs émissions (quantité d’émissions par unité de production) a diminué. Pour David King, «c’est un mythe de penser que réduire nos émissions de carbone nous rend forcément plus pauvres». Pourtant, si l’on veut lutter efficacement contre l’effet de serre, il faut maîtriser la consommation, ce qui s’oppose à la logique de la croissance à tout prix. Faut-il pour autant renoncer à une politique environnementaliste? Non assurément, car le «laisser-faire» aboutirait à un réchauffement important dont les coûts auraient des conséquences, d’abord pour les pays pauvres, mais à terme également pour les pays riches. Au-dessus de 3 °C de réchauffement, les effets seraient négatifs même pour les pays développés, assurent les experts du GIEC. Le dilemme ne peut être tranché qu’en pariant sur l’impact positif des nouvelles technologies propres. Leur émergence pourrait être facteur de progrès économique. En définitive toute politique environnementaliste consiste à miser sur le long terme, lorsque le ralentissement de la croissance sera compensé par le développement de nouveaux secteurs rentables.

(1) «Etude pour une prospective énergétique concernant la France», Observatoire de l’Energie, février 2005.

Pour en savoir plus «Histoire du climat» par Pascal Acot, Perrin. «L’Homme et le climat», par Jacques Labeyrie, Points Sciences. «L’Avenir climatique», par Jean-Marc Jancovici, Points Siences. «L’Effet de serre» par Jean-Marc Jancovici et Hervé Le Treut, coll. « Champs », Flammarion. "Science du changement climatique. Acquis et controverses", collectif, Iddri
Ecrit par Cherche l'info, le Samedi 9 Juillet 2005, 21:10 dans la rubrique "Trop de nuisances dans nos vies".