UN ARTICLE DE CHRISTOPHE SCHOUNE publié sur le soir.be
Ce n'est hélas pas une surprise : l'homme occidental continue à dilapider les ressources terrestres à un rythme accéléré. Ce constat est posé dans la dernière livraison du rapport " Planète vivante ", version 2004, rédigé par le Fonds mondial pour la protection de la nature (WWF).
Instantané de la demande globale en ressources (énergie, eau, bois, alimentation...), cet état des lieux, dressé avec le Programme des Nations unies pour l'environnement, chiffre l'empreinte écologique de chaque être humain selon son pays d'origine.
Basé sur les données disponibles les plus récentes, ce hit-parade du développement... non durable est dominé par les pays industrialisés. Classée vingtième, la Belgique brûle pour le moment 4,9 " hectares globaux " par habitant. Soit près de trois fois le capital auquel chaque être humain a droit et quatre fois la biocapacité propre de notre pays, constate Geoffroy De Schutter, expert au WWF. L'empreinte de la Belgique a augmenté de 10 % en dix ans.
Les Belges se consoleront-ils en apprenant que l'empreinte des Américains demeure deux fois plus importante ? Il n'empêche : les capacités de régénération de la Terre sont désormais dépassées de 20 % et rien ne semble infléchir ce mouvement. Les données du WWF sont jugées très " prudentes " et la demande de certains pays émergents, comme la Chine ou l'Inde, s'accroît.
Nous accumulons une dette écologique que nous ne serons pas en mesure d'honorer, à moins que les gouvernements ne rétablissent l'équilibre entre notre consommation des ressources et la capacité de la terre à les renouveler, juge Claude Martin, directeur général du WWF international.
L'Europe avait montré sa détermination dans la lutte contre les changements climatiques. Pour le WWF, elle doit aussi montrer la voie à suivre en plaçant le développement durable au sommet de son agenda. Un défi pour la nouvelle Commission Barroso.
Chaque Belge consomme trois planètes
Dans les pays occidentaux, la consommation d'énergie fossile a augmenté de 700 % en 40 ans.
Nous dépensons notre capital nature plus vite qu'il ne peut se régénérer. Nous accumulons une dette écologique que nous ne serons pas en mesure d'honorer à moins que les gouvernements ne rétablissent l'équilibre entre notre consommation des ressources et la capacité de la terre à les renouveler...
Brossé en quelques mots par le directeur général du WWF, Claude Martin, le sombre état des lieux contenu dans le cinquième rapport " Planète vivante " publié par l'organisation non gouvernementale avec l'appui du Programme des Nations unies pour l'environnement (Pnue) offre peu de motifs de réjouissances. L'originalité de cette démarche, actualisée tous les deux ans, tient au fait que la méthodologie scientifique, affinée au fil des ans, cerne l'impact de l'humanité sur la planète selon deux mesures clés : l'indice Planète vivante (IPV) et l'empreinte écologique. La première synthétise les tendances générales de l'évolution des espèces alors que la seconde calcule la capacité de la Terre à répondre à la consommation globale des ressources (alimentation, bois, énergie...) actuelles de l'humanité.
L'IPV est la moyenne de trois indices distincts mesurant les changements d'abondance de 555 espèces terrestres, 323 d'eau douce et 267 marines. Les trois indices ont chuté respectivement de 30 %, 40 % et 50 % en trente ans. Des déclins qui peuvent être comparés à l'augmentation de l'empreinte écologique globale de 70 % et la croissance de la population mondiale de 65 % pour la même période, note le rapport. Ces moyennes ne témoignent pas des variantes régionales. Ainsi, les espèces localisées dans les écosystèmes de prairie tropicale ont décliné de 80 %, tandis que les populations en zones tempérées limitent la casse.
En 2001, selon les derniers chiffres disponibles au plan mondial, la mesure de la pression exercée par l'homme sur les ressources naturelles était de 2,2 hectares globaux par personne alors qu'il n'y a que 1,8 hectare disponible pour fournir les ressources de la planète à plus de six millards d'habitants, explique Geoffroy De Schutter, du WWF. Ce seuil a été franchi en 1985 selon la nouvelle révision de cette méthodologie (lire ci-contre).
C'est peu dire que cette moyenne de 2,2 hectares par être humain masque de profondes différences entre les pays industrialisés et les pays en voie de développement (notre infographie). L'empreinte de l'Européen occidental s'élève à plus du double de la moyenne globale. Aux extrêmes, l'Afghan consomme 0,3 hectare alors que l'Américain en dévore 9,5. Classée vingtième, la Belgique n'est pas bon élève : l'empreinte écologique moyenne est de 4,9 hectares par personne dans notre pays. Soit, près de trois fois la quantité à laquelle chaque être humain a droit et quatre fois plus élevée que la bio-capacité propre de notre pays.
Fait parmi les plus inquiétants soulevé par les experts du WWF, l'empreinte énergétique, basée sur la domination des énergies fossiles, a connu la croissance la plus rapide, augmentant de 700 % entre 1961 et 2001. A l'instar des autres pays européens, l'empreinte écologique des Belges tient essentiellement à sa nourriture (20 %), au chauffage de son logement (25 %) et à ses besoins de mobilité dominés par l'usage de la voiture (20 %), note Sabien Leemans, du WWF. Les 25 % restants sont occupés par la gestion des déchets, l'achat de biens et de services, les soins de santé...
Depuis dix ans, l'empreinte écologique des Belges a augmenté de 10 % alors qu'elle a diminué d'autant dans les pays du Sud, constatent encore les experts du WWF. Preuve qu'il n'y a pas de fatalisme en la matière, l'Allemagne, la Grande-Bretagne et la Suisse sont parvenues à diminuer légèrement cette empreinte ces deux dernières années, note Geoffroy De Schutter. Il est plus que temps de considérer des indicateurs comme l'empreinte écologique sur le même pied que le produit national brut.
Nos vies et nos sociétés ne peuvent pas uniquement reposer sur des performances économiques...
(1) " Rapport planète vivante 2004 ", disponible gratuitement bd Emile Jacqmain, 90, 1000 Bruxelles, Tél. : 02/340.09.99,
www.wwf.be
Une dette écologique fort sous-estimée...
Calculée pour 148 pays, l'empreinte écologique globale mesure la surface biologiquement productive dont chaque individu a besoin pour vivre. Cette empreinte comprend les ressources contenues dans les biens et services consommés ainsi que les déchets liés à cette consommation. Collectés et interprétés par le " Réseau empreinte écologique " (1), ces calculs se basent sur une quantité de rapports internationaux en voulant éviter l'écueil majeur du double comptage.
Exemple : cultivé, moulu et cuit, le blé est finalement avalé sous forme de pain. Les données économiques peuvent suivre ce modèle séquentiellement. Afin d'éviter un double comptage, le blé ne sera comptabilisé qu'au stade initial tandis que l'énergie nécessaire sera prise en compte à chaque stade de la production du pain.
La consommation d'une nation est ainsi calculée en additionnant à la production domestique les importations en y soustrayant les exportations. Les ressources utilisées pour produire une voiture fabriquée en Allemagne mais vendue et utilisée à Namur contribueront à l'empreinte belge au même titre qu'un fruit exotique transporté par avion et consommé dans une assiette bruxelloise. Nécessitant des ajustements, ces savants calculs faussent parfois la taille relative de l'empreinte d'un pays sans toutefois affecter le résultat global.
Mais les experts persistent à considérer ces résultats... largement sous-estimés. Les activités qui érodent systématiquement la capacité de régénération de la nature sont exclues, note Geoffroy De Schutter. Comme la nature n'a pas de capacité d'absorption significative pour les métaux lourds, les matériaux radioactifs tels que le plutonium ou les composés synthétiques persistants (PCB, PVC, CFC...) la durabilité demande que l'on arrête de déverser ces substances dans la biosphère...
" Instantané " de la situtation, l'empreinte mesure donc l'état de la demande à l'égard de la nature. L'addition des déficits annuels globaux établira la " dette globale " de l'humanité vis-à-vis de sa Terre nourricière. Selon les modèles " conservateurs " du WWF, cette dette pourrait se chiffrer à 40 " années-planète " d'ici 2050. Une valeur fictive qui ne prend pas les coûts sociaux et économiques qui seront engendrés par les perturbations écologiques et les changements climatiques... Les résultats soulignent la dépendance des pays occidentaux vis-à-vis de ressources principalement exploitées hors du pays, conclut Tony Long, directeur du WWF Europe. La nouvelle Commission et le nouveau Parlement européens devront saisir leur chance pour considérer l'utilisation des ressources naturelles comme une priorité absolue.
(1)
www.footprintnetwork.org