Un article publié par Vers L'Avenir.
C'est la consternation dans les rangs du personnel et la gêne dans le monde politique : l'espoir de d'extension de DHL en Belgique, c'est fini.
LA SENTENCE est tombée. Après des semaines de négociations infructueuses avec les gouvernements belge, flamand et bruxellois, la société de courrier express a finalement abandonné jeudi ses projets d'extension à Bruxelles. Cette décision menace 1 700 emplois à l'horizon 2008.
Annoncée aux organisations syndicales au milieu de la nuit de mercredi à jeudi, la nouvelle a provoqué une grève spontanée des salariés de DHL, qui ont occupé une portion du boulevard autoroutier ceinturant Bruxelles jusqu'au début de la matinée.
De nombreux automobilistes se rendant à l'aéroport se sont retrouvés coincés dans les embouteillages, tandis que les avions de DHL étaient pour la plupart cloués au sol.
La décision de DHL était attendue depuis plusieurs jours, tant les dernières prises de position de la filiale de la Deutsche Post et celles des autorités belges paraissaient inconciliables.
DHL, qui emploie 3 700 personnes en Belgique, se disait prête à investir 250 millions d'euros et à créer 1 400 postes de travail supplémentaires. Pour cela, elle demandait au gouvernement fédéral, mais aussi aux régions flamande et bruxelloise, compétentes en matière de respect des normes environnementales, de l'autoriser à augmenter ses vols nocturnes de 14 000 par an actuellement à 22 000 dans quatre ans.
" Nous étions prêts à accepter cette augmentation des vols de nuits, mais à condition qu'elle soit compensée par l'utilisation d'avions moins bruyants ", a expliqué jeudi midi le ministre chargé des Entreprises publiques, Johan Vandelanotte.
Mais, selon le chef du gouvernement flamand Yves Leterme, DHL a " dépassé la limite " en insistant sur la nécessité d'effectuer d'abord quatre, puis 16 rotations par nuits avec des avions long-courriers de type
Mc Donnell-Douglas 11 (MD11), réputés bruyants, alors que les riverains de l'aéroport sont déjà excédés par les nuisances actuelles.
C'est pas moi, c'est lui
Guy Verhofstadt s'est dit " déçu " par la décision de DHL de " ne pas consentir " à faire des " efforts supplémentaires en matière de diminution des nuisances sonores ".
Pour la direction de DHL, c'est au contraire l'absence de " consensus politique " soutenant son plan d'extension à Bruxelles qui a fait échouer le projet.
Conséquence : ce ne sont pas 1 400 emplois supplémentaires qui seront créés, mais de 1 200 à 1 700 personnes qui perdront leur travail lorsque le nouveau " hub " international sera entré en fonction, en 2008, en dehors de la Belgique.
Le lieu d'implantation des nouvelles installations de DHL sera choisi " dans les deux ou trois prochaines semaines ", a indiqué Peter Kruse, le PDG de DHL pour l'Europe.
Les deux " options restantes ", Leipzig (est de l'Allemagne), et Vatry, dans le nord-est de la France, " rencontrent toutes nos exigences ", a ajouté M. Kruse, en refusant d'en dire plus à ce stade.
L'abandon du projet d'extension de DHL est un nouveau coup dur pour l'aéroport de Bruxelles, en phase de privatisation. Mais c'est aussi la fin d'une époque où " on laissait faire n'importe quoi par n'importe qui " au nom de l'emploi, a estimé la vice-Première Laurette Onkelinx.
EN BREF
Le bon sens l'emporte, selon les riverains
L'issue du dossier de DHL constitue une victoire du bon sens et non celle des personnes survolées dont la situation actuelle est intenable, mais le dossier n'est pas clos, a affirmé jeudi le collectif constitué de plusieurs associations de riverains. Pour elles, la position du fédéral est cependant un pas incontestable en vue de garantir l'avenir de l'aéroport qui devra passer par le plafonnement des vols de nuit à leur nombre actuel de 21 000. Le dossier peut désormais évoluer dans la bonne direction : celles d'emplois propres et durables, qui restent compatibles avec l'habitabilité dans la région de l'aéroport, estime le collectif.
De nombreux emplois indirects menacés
" Pour chaque emploi perdu chez DHL, deux emplois supplémentaires disparaîtront dans d'autres entreprises. L'effet sera toutefois limité par la venue attendue de nouvelles sociétés sur le site de Bruxelles-National ", a déclaré l'économiste louvaniste Leo Sleuwaegen. La baisse des activités aura notamment des conséquences directes chez les fournisseurs de l'entreprise de courrier express, comme EAT (European Air Transport) où 335 suppressions d'emplois, au maximum, sont prévues dès 2008.
Le bourgmestre de Zaventem relativise
Pour le bourgmestre Francis Vermeiren les problèmes de nuisances sonores générés par le trafic aérien continueront à se poser tant en ce qui concerne le trafic de nuit que de jour. La discussion sur le dossier DHL doit constituer une leçon afin de parvenir à une réglementation en matière de normes. " En raison de la très bonne situation de Zaventem au coeur de l'Europe et des infrastructures présentes sur place, DHL voudra toujours garder une importante activité sur ce site ", considère M. Vermeiren.
Comparé à Vatry ou à Leipzig, le jeu était inégal.
Zaventem était bien partie avec une longueur d'avance mais la ville de Saxe présente l'immense avantage de valoriser des emplois en Allemagne et l'aéroport français offre pour sa part la quiétude de ses campagnes céréalières. Bruxelles, de son côté, n'avait guère que les récriminations d'un million de riverains au sommeil agité à faire valoir.
Sans doute, les dés étaient-ils donc quelque peu pipés au départ. D'où cette absence de volonté, chez DHL, de faire des concessions face aux exigences environnementales - et légitimes - du gouvernement belge. D'où cette surenchère, même, du côté de l'entreprise, chaque fois qu'elle était amenée à revoir sa copie.
Mais atteindre un tel niveau de non-communication, parfois sur des points de détail, neuf mois durant, confine aussi à la mauvaise foi. Et à cet égard, on ne peut s'empêcher de penser que ce sentiment a été équitablement partagé entre la société de courrier-express et les représentants du monde politique.
Ce nouvel épisode dramatique de la vie économique et communautaire de notre pays laissera donc, comme la Sabena, comme Renault, un goût de cendres dans la bouche du citoyen perplexe. Et pas seulement dans celle des travailleurs concernés par les futurs licenciements.
Par-delà cette actualité navrante, le dossier DHL viendra aussi renforcer le constat qu'il est devenu extrêmement difficile de prendre une décision politique en Belgique. A fortiori lorsqu'il s'agit de faire tenir dans la même équation des contraintes liées à l'emploi et des critères de qualité de vie. Il est loin le temps, en effet, où l'on se réjouissait de la fumée des hauts-fourneaux au coin de la rue.
Montrer l'avion du doigt
Voilà. On y est. DHL plie bagage, met en carton ses 10 000 emplois et s'envole en Champagne ou ailleurs. Les Gouvernements fédéral, bruxellois et flamand prennent acte et regrettent, nous disent-ils en choeur et la bouche en coeur. DHL n'a pu donner de garantie quant au remplacement des appareils MD11 d'ici 2011. Comprenez : ils n'ont pu garantir qu'ils achèteraient des avions moins bruyants... qui n'existent pas encore.
Est-ce le triomphe de la riveraineté ? Riveraineté : ensemble des droits conférés au riverain. Même pas. Tous les autres avions de nuit continueront leur course folle, bruyante et dispersée. Et, prenons les paris, on relancera bien vite des gros coucous pétaradants à la place de ceux qu'on a perdus. Soupirs. Si au moins on pouvait se dire : l'environnement a gagné. Voilà une société (la nôtre) qui a atteint un point de luxe supérieur. Une société qui peut offrir des nuits sereines à des milliers de gens en en payant quelques centaines d'autres pour qu'ils aillent au chômage. Mais non. Le problème n'a pas été tranché net entre cette équation environnement ou emploi. On dira que le plus lamentable est d'avoir traîné presque un an pour obtenir ce fiasco qui ne contentera en définitive personne.
Il faut se rendre à l'évidence. Le grand souci de l'être humain est de ne jamais apparaître comme le coupable ou le méchant. Ce n'est pas moi, c'est l'autre. DHL dit ce sont " les autorités belges qui ". Les politiques disent " c'est DHL que ".
L'humain - politique, économique, riverain, n'importe lequel, mon chef, mon voisin et moi-même - nous pouvons déployer d'incroyables kilos d'énergie pour parvenir à cela : soulager sa petite ou grande responsabilité en montrant l'autre du doigt.
à 17:39