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Vols de nuit : créer des permis de polluer
Un article publié sur lesoir.be
Thierry Brechet Professeur d'économie de l'environnement à l'UCL
Pierre M. Picard « Senior lecturer » en microéconomie à l'Université de Manchester
En ces temps de discussion sur les coûts et bénéfices sociaux de l'extension de la société DHL, il est souhaitable de rappeler l'existence et la pertinence de certains instruments économiques méconnus. L'un de ces instruments est le « permis de polluer ».
Cet instrument consiste, pour l'autorité publique, à mettre en circulation une quantité globale de permis de polluer correspondant à un niveau de pollution jugé globalement acceptable, puis à permettre l'échange de ces permis entre les agents impliqués dans cette pollution. Pollueurs et pollués ont ainsi l'opportunité d'acheter ou de vendre ces permis. Sous certaines conditions, le prix établi sur ce marché égalise la valeur d'un incrément de pollution pour le pollueur et le coût de cet incrément pollution pour les personnes polluées. Ainsi, le pollueur diminue sa pollution parce que les permis sont coûteux, et les personnes polluées acceptent davantage de pollution parce que les permis les compensent pour les coûts économiques, psychologiques et sociaux engendrés.
Dans le cas des vols de nuit, cette solution consisterait à distribuer des permis de pollution aux habitants survolés, puis à leur permettre la mise en vente de ces permis. Les opérateurs aériens ne pourraient emprunter une route qu'à condition de posséder les permis les y autorisant. Chaque permis définirait un niveau sonore maximal sur un segment de route, durant un laps de temps, pour une tranche horaire, un jour de semaine et une durée de validité. Par exemple, max. 70db sur le segment X de la route Y, durant 1 minute, entre 4 : 00 et 4 : 30, le dimanche, valide entre le 1er janvier et le 30 juin.
Sur chaque route aérienne, on mettrait ainsi en relation les lieux survolés avec le nombre maximal autorisé de décibels (en fonction du nombre total de permis mis en circulation pour cette route). Chaque riverain situé le long de chaque route recevrait donc un carnet de permis en relation avec sa situation de pollution sonore. Le marché serait ouvert tous les six mois afin de permettre l'achat de ces permis par tous les intervenants. Le prix d'équilibre s'établit alors tel qu'il n'y ait plus aucune transaction désirable par aucun des intervenants sur le marché.
Du côté des pollueurs sonores, le prix d'équilibre reflétera la valeur économique d'un vol additionnel pour la dernière entreprise susceptible d'acheter un permis. Dans le cas de la société DHL, ce prix correspondra à la valeur des investissements en matériel de vol moins bruyant ou à la valeur d'une restructuration des vols de nuit en faveur des vols de jour. De plus, ce prix reflétera aussi la valeur d'un vol de nuit pour les autres entreprises et organisations sur le site (vols militaires et humanitaires, Fly Air, Eva Airways...).
Du côté des personnes incommodées par la pollution sonore, le prix d'équilibre reflétera le coût d'un vol additionnel pour le dernier riverain ayant vendu son permis. Par exemple, cette valeur correspondra au coût d'investissement dans la protection sonore de son logement, la moindre qualité de son environnement, le manque à gagner locatif ou encore le coût de son relogement.
Les permis de pollution offrent trois propriétés remarquables. Premièrement, sous certaines conditions, le prix d'équilibre est efficient en ce sens qu'il n'y a pas de gain économique et social qui ne soit exploité. Deuxièmement, ce prix donne une indication de la valeur sociale d'un survol d'avion ; il permet aux entreprises polluantes de chiffrer et compenser automatiquement les individus sujets à la pollution. Si le prix est faible, ces entreprises peuvent étendre leurs opérations ; si le prix est élevé, celles-ci arrêtent ou restructurent leurs opérations. Ainsi, les projets économiques associés aux vols passeront nécessairement le test de leur rentabilité sociale.
Finalement, les permis autorisent la participation de toutes les parties concernées par la pollution sonore et l'activité socio-économique qui lui est associée. En effet, rien n'empêche les organismes concernés par la question de sous-emploi d'intervenir en toute transparence en achetant des permis et en les donnant aux entreprises polluantes. Par cette action, ces organismes pousseront le prix des permis à la hausse, ce qui aura pour conséquence d'octroyer une plus grande compensation aux individus lésés, de quelque origine sociale et linguistique que ce soit.
Comme on le voit, les permis de pollution, lorsqu'ils sont donnés aux riverains (c'est le cas dans notre proposition), s'apparentent très fortement au concept « pollueur-payeur » et présentent de nombreux avantages. Leur implémentation nécessiterait évidemment une analyse plus poussée sur le plan technique et légal.
Mais il faut dès aujourd'hui noter la mise en marché de permis de pollution est très semblable à la mise en vente des « slots » d'atterrissage et de décollage dont les opérateurs aériens ont déjà l'expérience. Aussi, sur le plan politique, cette solution présenterait deux bénéfices non négligeables : elle mettrait tous les acteurs économiques et sociaux sur un pied d'égalité et offrirait un gage de transparence, puisque pollueurs et pollués négocieraient directement par l'entremise des échanges de permis.
La base démocratique de cet instrument est donc forte ; notamment, rien n'empêche d'attribuer des permis à chaque individu, enfants compris, quitte à moduler la règle d'octroi en fonction de critères sociaux. Cette solution, enfin, évite les négociations nébuleuses entre responsables politiques de communautés et portefeuilles différents, où finalement l'intérêt même des individus concernés par les nuisances risque être oublié. Avec des permis de polluer mis entre les mains des pollués, les acteurs en faveur de la pollution sonore n'entrent en jeu que dans la mesure où ils sont prêts à payer, et ils sont directement confrontés à la compensation que vont exiger les acteurs sujets à la nuisance.
Ecrit par Cherche l'info, le Lundi 4 Octobre 2004, 20:18 dans la rubrique "Bruit et pollution des avions ".
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