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L'agriculture: Pieds et mains liés à l'agro-business.
La Coordination paysanne européenne veut une PAC axée sur l'emploi et les modes de production." Dix ans d'OMC ont accru la malnutrition ! "
PRODUCTEUR de poulets avec label et d'agneaux sous signe officiel de qualité, en Bretagne, René Louail est aussi un des cinq membres du bureau exécutif de la Coordination paysanne européenne (CPE), qui regroupe une vingtaine d'associations, parmi lesquelles, en Belgique, le Front uni des jeunes agriculteurs (Fuja) et le Vlaams Agrarich Centrum.
Membre de Via Campesina, mouvement international d'associations de petits et moyens paysans, la CPE milite clairement pour une autre PAC, et pour une agriculture déliée de l'agroalimentaire.
Quel modèle d'agriculture défendez-vous ?
Aujourd'hui, dans un contexte de mondialisation extrêmement violente, le problème de la malnutrition n'a jamais été aussi important : 870 millions de personnes en souffrent.
Dix ans d'OMC ont augmenté de plus de 10 % ces problèmes de faim et de malnutrition ! Plus on avance dans l'industrialisation de l'agriculture, plus le phénomène grandit.
Notre conclusion est que le petit pourcentage d'agriculteurs du Nord ne peut prétendre nourrir toute la planète. Et qu'il faut donc remettre au centre du débat l'agriculture paysanne. Qui doit nourrir les hommes avant de nourrir l'industrie agroalimentaire : parmi les 100 entreprises les plus performantes en terme de rentabilité pour les actionnaires, un tiers ont trait à l'agroalimentaire...
Nous privilégions une agriculture qui nourrit les gens en préservant les ressources et la qualité des produits. On le voit bien : plus on supprime des paysans, plus on multiplie les intrants.
Défendre une agriculture paysanne, c'est le premier étage pour lutter contre la malnutrition. L'Europe et l'Amérique du Nord constituent 1 % des agriculteurs du monde, alors pourquoi imposer au Sud notre système, dont l'échec est criant ?
Devant les rayons du supermarché, on n'a pourtant pas l'image d'un échec !
Au regard des prix toujours plus bas, sans doute. Mais le consommateur vigilant n'a peut-être pas son compte au niveau de la qualité : on trouve de meilleurs produits dans le circuit court. Et puis il y a les prix, mais le système ne permet plus l'installation de jeunes agriculteurs.
En France, au Pays-Bas, au Danemark, en Belgique, en Allemagne : là où en Europe l'agriculture est la plus développée, on en est à la dernière étape avant la mainmise totale de l'agriculture par l'agro-alimentaire. Qui détruit l'emploi, mais aussi la valeur ajoutée. Faire croire que le système a réussi, c'est une erreur.
On en arrive à cultiver sur les terres les plus fertiles en abandonnant des espaces entiers, et on doit mettre la main au portefeuille pour réparer les dégâts en matière d'incendies, par exemple.
Partout au monde on devrait restaurer une production agricole qui préserve les ressources naturelles et privilégie les productions alimentaires plutôt que bioénergétiques.
Les agriculteurs seraient-ils otages ou esclaves de l'agroalimentaire ?
Otages plutôt, parce qu'ils ont été abandonnés par un certain nombre d'organisations professionnelles (notamment la Copa et ses ramifications nationales), qui les ont livrés pieds et mains liés à l'agro-business.
Ces organisations ont simplement accompagné les restructurations permanentes : on jette une partie de l'équipage pour sauver le capitaine ! Dans quel autre secteur a-t-on connu une telle politique ?
Il y a tout de même des entreprises agricoles qui vont bien, non ?
En France, il y a 630 000 agriculteurs, dont 170 000 touchent moins de 5 000 € d'aide par an, et 70 000 rien du tout. Paradoxalement, la concentration des aides de la PAC n'a jamais été aussi grande : 20 % captent 80 % des aides.
L'unité paysanne est devenue impossible. Certaines exploitations n'ont rien alors que d'autres ont des aides deux fois supérieures à leurs revenus ! Et c'est la collectivité qui soutient ça, par ses impôts.
Quand on interroge les consommateurs, ils sont une majorité pour des produits de qualité, mais par leurs impôts, ils soutiennent une PAC qui va dans l'autre sens. Il faut que les citoyens soutiennent les campagnes et les interpellations des élus, pour qu'une vraie réforme de la PAC soit au centre des débats politiques.
Pour une autre PAC
Le mouvement paysan veut " une autre PAC ",basée sur des critères d'emploi et de modes de production, et se réjouit de l'échec de l'OMC à Genève...
DÉBUT juillet, l'OMC tentait en vain de relancer le cycle de Doha. En gros, la réduction des subventions agricoles européennes et américaines contre la limitation de droits de douane au Sud.
La Coordination paysanne européenne (CPE) s'est réjouie de cet échec, mais craint que des accords bilatéraux se substituent à l'OMC en panne. " Nous avons besoin d'un arbitre du commerce international, estime René Louail. Nous avons besoin d'une politique agricole commune. Mais pas d'une politique libre-échangiste où les plus grands s'affrontent sans aides aux dépens des petits. Chaque pays a le droit de définir le type d'agriculture qu'il souhaite, sa politique en matière de préservation des paysages, ou en matière d'emplois dans l'agriculture. Ce que nous souhaitons, c'est une PAC qui privilégie le nombre d'emplois, et le mode de production. Or, le découplage des aides a introduit un soutien permanent à des productions industrielles. "
" Quant aux règles de l'OMC, on pille les paysans du Nord et ceux du Sud. Actuellement, en Bretagne, je connais des producteurs de volailles à l'exportation à qui on impose de produire aux mêmes conditions que celles des paysans brésiliens ! "
" Selon nous, aider les paysans du Sud suppose qu'il y ait une régulation du marché, par des décisions politiques. Si le marché devient roi, la malnutrition va gagner du terrain ! "
L'assiette du Nord viendra-t-elle du Sud ?
SI on n'y prend pas garde, estime René Louail, les productions alimentaires du Nord vont se réduire, au profit de cultures destinées à la bio-énergie, et les paysans du Sud cultiveront les assiettes du Nord...
" Si le marché devient roi, la malnutrition va augmenter, parce que les agriculteurs du Nord consacreront leurs terres à la bio-énergie, bien plus juteuse ", prévient René Louail.
" Toutes les conditions sont réunies pour que dans les cinq années qui viennent ce scénario se vérifie. La France importe déjà autant de productions agricoles du Brésil qu'elle n'en exporte. Le même phénomène arrive avec la viande bovine, l'Europe abandonnant ses zones d'élevage. "
" L'Europe risque de ne plus être autosuffisante sur le plan alimentaire. C'est pour ça qu'il nous faut d'urgence une autre politique agricole. "
" Si ce sont les grands céréaliers français qui décident, nous serons les piètres spectateurs du déséquilibre mondial qui voudra qu'on cultive ici pour faire de l'énergie, alors qu'on importera notre alimentation... C'est pour ça qu'il nous faut une autre politique agricole, basée sur la souveraineté alimentaire ici, en Europe, mais aussi au Sud. "
" Nos entreprises ont besoin d'énergie, bien sûr, mais avant de consacrer des terres fertiles à la produire avec des céréales ou des oléagineux, on devrait commencer par en réduire la consommation... "
Interview : Didier CATTEAU dans Vers l’Avenir
Ecrit par Cherche l'info, le Dimanche 6 Août 2006, 08:28 dans la rubrique "Les autres nouvelles".
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