La «taxe Chirac», qui entre en vigueur ce samedi en France, renchérira le coût des vols de 1 à 40 €.
Mais le projet «Unitaid» reste flou, l'opinion est partagée et les associations vigilantes.
Analyse
Un euro par vol intérieur et européen, 4 € pour un long-courrier, 10 et 40 € pour ces mêmes vols s'ils sont effectués en classes affaires et première. A partir de ce 1 éme r juillet, tous les billets d'avion achetés en France seront frappés d'une taxe baptisée «contribution de solidarité internationale». C'est la fameuse taxe sur les billets d'avion qui est destinée à alimenter «Unitaid», le nouveau mécanisme d'achat de médicaments contre le sida, la tuberculose et le paludisme pour les pays du Sud.
C'est le président Chirac qui, le premier, avait lancé cette idée il y a deux ans au Forum de Davos. Le chef d'Etat français voulait réunir à sa cause l'ensemble de la communauté internationale afin d'accroître l'accès des pays du Sud aux médicaments contre les trois grandes pandémies qui les ravagent. L'hôte de l'Elysée n'a que partiellement obtenu gain de cause. Nombre de grands pays riches (Etats-Unis, Canada, Japon, etc.) ne l'ont pas suivi. Pour l'instant, hormis la France, seuls quatre Etats se sont engagés formellement à appliquer pareille taxe en 2006: le Chili (où elle est déjà en vigueur), le Brésil, la Norvège et le Royaume-Uni. Une dizaine d'autres (Chypre, Congo, Côte-d'Ivoire, Gabon, Jordanie, Luxembourg, Madagascar, Maurice, Nicaragua) ont promis de les imiter à moyen terme. Une trentaine d'Etats ont déclaré soutenir le mécanisme, mais sans s'engager précisément à l'appliquer chez eux. Une soixantaine de nations au total ont, plus confortablement, voté à l'Onu une déclaration en faveur de la recherche de «sources innovantes» de financement pour l'aide au développement.
Rien qu'en France, cette taxe rapportera 200 millions d'euros par an. Cette somme servira à l'achat groupé (et donc à prix compétitifs) de médicaments qui seront destinés prioritairement aux enfants du Sud. Selon le ministre des Affaires étrangères Philippe Douste-Blazy
Pour venir en aide au Sud
«sur les 6 millions d'habitants du Sud qui, dans les trois prochains mois, auront besoin de médicaments pour ne pas mourir du sida, de la tuberculose ou du paludisme, 5 millions n'y auront pas droit».
Un projet encore très flou
Faute notamment d'accès aux soins, le sida fait 3 millions de morts par an dans le monde, et la tuberculose et le paludisme à eux deux au moins autant. Un enfant meurt du paludisme toutes les trente secondes en Afrique, et 1 900 enfants sont chaque jour infectés par le sida dans le monde. Or, il existe peu de médicaments antirétroviraux adaptés aux enfants. Une dizaine de médicaments de ce type seulement sont disponibles en formulations pédiatriques et ils présentent de gros inconvénients (ils ont mauvais goût, ils doivent le plus souvent être dissous dans de l'eau alors qu'elle est rarement potable dans ces pays, etc.).
Dans son organisation concrète, «Unitaid» est encore assez flou, ce qui fait dire à ses détracteurs qu'en l'état, il s'agit surtout d'une parfaite «opération de communication». Paris promet que ce mécanisme, également baptisé «Facilité internationale d'achat de médicaments» (FIAM), sera un outil simple, souple, équitable et peu coûteux. Ainsi, afin qu'une administration ad hoc ne doive pas être mise sur pied, le programme passera par des structures internationales déjà existantes (Programme mondial de l'Onu contre le sida, OMS, Unicef, le réseau nord-sud d'hôpitaux créé par le Dr Kouchner, etc.).
Le vote de cette «taxe Chirac» par le Parlement français n'a pas été sans mal, de nombreux députés de la majorité (de la tendance sarkozyste, singulièrement) étant hostiles à toute hausse des prélèvements et sensibles au lobbying du secteur du tourisme et de l'aviation. Ce qui fait dire à certains qu'après les élections de 2007, si Jacques Chirac, comme c'est probable, n'est plus au pouvoir, cette taxe pourrait être abandonnée. Pour le Quai d'Orsay, cependant, il s'agit d'une contribution pérenne qui ne pourra être remise en cause.
L'opinion elle-même semble assez partagée. Selon un sondage réalisé à l'automne dernier, 49 pc des Français y sont favorables et 45 pc opposés. Le monde associatif, pour sa part, y est a priori favorable, mais sans être enthousiaste pour autant.
«Un cache-misère» ?
Ainsi, les associations de lutte contre le sida ont déjà annoncé qu'elles seraient «extrêmement vigilantes». Elles craignent la création d'un monstre bureaucratique déconnecté du terrain et vendu aux grandes multinationales du médicament, au détriment des génériques. Elles refusent aussi qu'«Unitaid» serve de «cache-misère» pour dissimuler le fait que l'effort de la France en matière d'aide au développement reste insuffisant, ne respecte pas ses grandes promesses du passé et demeure très inférieur à celui consenti par d'autres Etats comparables, comme le Royaume-Uni.
Les associations militant pour l'annulation de la dette du tiers-monde, de leur côté, auraient préféré une taxe internationale sur la spéculation financière (comme feu la taxe Tobin) ou sur les bénéfices des sociétés transnationales. Et jugent que «cette contribution sur les billets d'avion n'apporte pas de réponse satisfaisante aux deux questions centrales: comment enrayer la dégradation des systèmes de santé qui ont énormément souffert des politiques néolibérales imposées par le FMI, et comment organiser une redistribution de la richesse mondiale et lutter efficacement contre les inégalités?»
La Libre BERNARD DELATTRE
politique
à 01:13