Un article paru dans le Figaro. L'original est à lire
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Ce peuple de l'Arctique, menacé par le réchauffement, assigne le premier pollueur de la planète devant la Commission interaméricaine des droits de l'homme.
«Que feriez-vous si un rapport sur lequel ont travaillé plus de 300 scientifiques du monde entier vous annonçait votre disparition ?», interrogent les Inuits.
POUR MEEKA, la météo n'a plus de secrets. Née à Iqaluit, dans la province du Nunavut, aux confins du cercle polaire arctique, là où le thermomètre atteint – 60° C l'hiver, la neige, le vent, la fonte du permafrost, elle connaît. Pourtant, avoue cette jeune Inuk qui enseigne à ses élèves la culture inuit, «depuis trois ans, il nous est devenu
très difficile d'enseigner les prévisions météo. Le vent change de direction plusieurs fois par jour et, certains jours, on ne peut que conseiller à nos élèves d'arrêter de chasser par mesure de prudence. Car il devient de plus en plus difficile de voyager et de trouver des bonnes conditions neigeuses pour faire des igloos». Meeka, invitée par
la conférence des Nations unies sur le changement climatique pour témoigner de cette situation, retrouvera dès demain Iqaluit, ses attigi en fourrure renversée et ses qulittuq en peau de caribou pour se protéger du froid.
Hausse des températures
Alors, lorsqu'elle a entendu parler du rapport de l'Acia (Arctic Climate Impact Assessment), publié voici un an, son sang n'a fait qu'un tour. La température de l'air devrait encore s'élever chez elle de 3° C à 5° C d'ici la fin de ce siècle. La mer de glace, qui ne représente plus que 7,5 millions de km2 en été contre 10,5 il y a quarante ans,
pourrait disparaître d'ici à 2100. Les ours blancs n'y survivront pas. Dès lors, utilisera-t-on encore dix termes en Inuktitut pour désigner la neige ? Natiruvaaq pour la neige poussée par le vent, mannguq pour la neige fondante, ou encore kinirtag pour la neige humide et lourde ? Non, car, si l'on en croit ce rapport, «le réchauffement risque de
détruire la culture des Inuits fondée sur la chasse, la réduction de la glace de mer entraînant la disparition des espèces animales dont ils dépendent, comme les ours polaires, les phoques, les morses et plusieurs espèces d'oiseaux marins». «Que feriez-vous si un rapport sur lequel ont travaillé plus de 300 scientifiques du monde entier pendant
quatre ans vous annonçait votre disparition ?», lance Sheila Watt-Cloutier, présidente de la Conférence du cercle polaire inuit (ICC), devant un logo clamant «Le droit d'avoir froid». La réponse de Sheila, Meeka et les leurs vient de tomber. Les Inuits viennent d'assigner les Etats-Unis devant la Commission interaméricaine des droits de l'homme, basée à Washington. Les Inuits considèrent qu'en laissant perdurer cette situation, les Américains violent leurs droits de l'homme au sens où ils ont été définis dans la déclaration américaine des droits et devoirs de l'homme de 1948.
Les Américains campent sur leurs positions
«Ce n'est pas une question d'argent», précise leur porte-parole. La plainte presse la commission d'exhorter les Etats-Unis à fixer des limites à leurs rejets polluants et à aider les Inuits à mettre en place une politique d'adaptation au changement climatique. Or les Etats-Unis, qui représentent un quart des émissions de gaz à effet de serre de la planète et ont rejeté le protocole de Kyoto, continuent à camper sur leurs positions à la conférence des Nations unies sur le changement climatique qui se tient actuellement à Montréal. «Nous devons nous pencher sur cette demande et y répondrons», a déclaré à Montréal à l'AFP le chef de la délégation américaine, Paula Dobriansky.
La Commission interaméricaine des droits de l'homme, mise sur pied en 1959 par l'Organisation des Etats américains, s'est déjà prononcée à plusieurs reprises en faveur des peuples indigènes. Qu'elle donne raison ou non aux Inuits, cette initiative aura du moins sensibilisé le monde à leur cause.