Plus il fait chaud, plus il fera chaud... un effet boule de neige réussi.
--> Selon une étude, la canicule en provoquera d'autres.
Plus il fait chaud et sec, moins les plantes poussent et plus il fera chaud.
En scientifique dans le texte, cela s'appelle une «rétroaction positive». Dont l'effet négatif sur le climat futur inquiète de plus en plus. Aujourd'hui, dans Nature (1), une équipe européenne dirigée par Philippe Ciais, spécialiste des cycles du carbone, publie une
étude couvrant toute l'Europe géographique et qui révèle un aspect inattendu et menaçant de la canicule de 2003. Outre les 35 000 morts prématurées et les dégâts économiques, les températures élevées (surtout à l'ouest de l'Europe) et la sécheresse sévère (surtout à l'Est, Ukraine, Roumanie) ont violemment affecté le cycle du carbone lié à la croissance végétale.
Les chiffres frappent fort. La croissance végétale de 2003 des forêts comme des plantes cultivées a été de 30 % inférieure à celle de 2002 et 20 % sous la moyenne de la période 1960-1990. Cette chute
serait «sans précédent» à l'échelle du XXe siècle. Stressées par la température et le manque d'eau, les plantes ont limité leur croissance et leurs échanges gazeux. Conséquence directe : les écosystèmes européens ont, cette année-là, relargué dans l'air pas moins de 500 millions de tonnes de carbone. Annulant près de quatre années de captation de ce même carbone de l'air par la végétation européenne. L'équivalent de plus de la moitié des émissions anthropiques annuelles en Europe.
Conversion. Ces chiffres sont le résultat d'un travail de grande envergure réalisé par une trentaine de scientifiques européens
(France, Italie, Suisse, Allemagne...), mêlant observations de terrain et satellitaires, avec modélisation sur les supercalculateurs du Commissariat à l'énergie atomique. Les scientifiques ont utilisé les mesures systématiques des flux de carbone du programme Carbo-Europe animé par Philippe Ciais, du Laboratoire des sciences du climat et de l'environnement (CEA-CNRS). Et mis à profit les données d'activité photosynthétique du satellite Terra de la Nasa. Ils ont converti les chiffres de production agricole (entre 12 % et 20 % selon les pays) en données de photosynthèse. Enfin, ils ont réalisé des modélisations, simulations et analyses permettant d'extrapoler ces données à tout le territoire et toute la végétation.
Venant après plusieurs études sur les échanges de gaz carbonique entre les sols et l'atmosphère (2), cette étude soulève un lézard. Les modèles les plus utilisés pour simuler le climat à l'horizon 2100 ne comprennent pas de module «cycle du carbone» réaliste, c'est-à-dire évoluant au fur et à mesure que le climat et la biosphère changent.
Fausse route. Pire : la plupart des modélisateurs creusant cet aspect du changement climatique étaient plutôt partis sur l'idée que «le réchauffement aurait un effet positif sur la croissance végétale aux latitudes moyennes et hautes de l'hémisphère Nord», explique Pierre Friedlingstein, l'un des auteurs de l'article. Cette croissance devait se traduire par une capture accrue du carbone de l'air, diminuant l'effet de serre. Un processus favorisé par une adaptation lente de la végétation naturelle, et plus rapide des plantes cultivées, à ce nouveau climat. Mais le réchauffement moyen pourrait se traduire par la multiplication des étés extrêmes, modèle 2003. Des simulations sur ordinateurs ont montré que l'Europe pourrait encaisser de tels épisodes pratiquement un an sur deux à la fin du
siècle, avec un réchauffement planétaire moyen d'environ 2 °C. A chaque canicule, les teneurs en gaz carbonique de l'air augmenteraient plus vite, l'effet de serre itou et le changement de climat serait accéléré d'autant... produisant encore plus d'étés caniculaires. La boucle est bouclée. En langage de labo : un «feedback positif».
(1) Philippe Ciais et al., Nature du 22 septembre.
(2) Libération des 17 et 18 septembre.
Par Sylvestre HUET
jeudi 22 septembre 2005 (Liberation - 06:00)
http://www.liberation.fr/page.php?Article=325569